Monday, May 18, 2009

Int. Jour/ Café à Hamra

Il y a beaucoup de monde, ça sent le chocolat et le pain. Il y règne une ambiance chaude. On entend surtout le bruit de la machine à café.

Lea est assise seule, une tasse de café devant elle, une boite de Marlboro Lights. Elle a la vingtaine et se cache derrière de longs cheveux légèrement ondulés et un pull à grosses mailles beiges. Elle regarde la pluie tomber doucement, les parapluies qui se promènent, elle joue rêveusement avec la tasse.

Yves entre par la porte qui se trouve à la droite de Lea. C’est un homme intimidant aux traits durs. Lea se retourne vers la porte et l'observe s'avancer vers le vieux comptoir en bois. Il lance un "bonjour" sec, puis se retourne en parcourant la salle. Il tombe sur le regard de Lea,
les yeux légèrement écarquillés, aucun sourire, aucun mouvement de tête, juste un regard intact.

Yves est interpellé par la tasse de café qu'on vient de poser devant lui. Quand il se retourne vers Lea, elle baisse la tête pour cacher le sourire amusé. Elle fixe ses doigts vernis puis relève la tête vers le comptoir. Yves n'y est plus. Un bruit de chaise l'oblige à regarder sa gauche. Yves s'installe sur sa table.

Il regarde devant lui, il sent le regard de Lea sur lui. Il affiche toujours son air arrogant, il a une espèce de sourire malicieux. Lea approche la main du visage d’Yves, lui caresse doucement la joue. sa joue. L’assurance s’efface, le sourire se crispe. Il recule pour fuir cette main, qui l'approche vers le visage de Lea. Puis la main disparait, l'obligeant à chercher une explication dans les yeux de Lea. Le regard. Puis comme d’un mutuel accord, les têtes s’avancent, se penchent, les yeux se ferment, les lèvres se touchent, se découvrent poliment, se bousculent.

Eventuellement la respiration se fait rapide, la course plus lente pour enfin s'arrêter. Ils ouvrent les yeux. Les yeux d’Yves dérapent des yeux de Lea, sur ses lèvres puis sur la table. Il se passe une main dans les cheveux, se met debout brusquement. Il a toujours le regard baissé vers la table.

Lea est immobile, son regard seulement suit les mouvements d’Yves. Elle a les lèvres très rouges. Au moment où elle se décide de détourner les yeux de ces mouvements saccadés, elle voit Yves passer dehors, héler un taxi et s'y engouffrer.

Lea allume une cigarette, détourne son visage de la rue, rejette ses cheveux en arrière, hausse la main pour interpeller le serveur et le menton légèrement relevé : «un café s’il vous plait» .

Tuesday, May 5, 2009

La guerre des étoiles

Il était une fois une petite fille qui écoutait chaque soir avant de s'endormir "Clair de Lune" de Debussy en s'imaginant qu'un drap d'étoiles la couvrait. Cette petite fille aimait Fadi. Fadi habitait dans l'immeuble de sa grand-mère, avait de longs cils et un short bleu marine aux boutons dorés.

Fadi et la petite fille jouaient la plupart du temps à cache-cache avec tous les autres enfants habitant l'immeuble. Quand elle eut 9 ans, tante Viviane offrit à la petite fille une cape couleur bleu ciel brodée d'étoiles argentées. La cape était, apparemment, magique. Tante Viviane lui murmura, dans la cuisine qui sentait le gâteau au chocolat, que la cape la protègerait contre tous les mauvais sorts, contre les monstres, contre la tristesse, contre les bombes qu'elle entendait la nuit. Il suffisait de la poser sur ses épaules.

La petite fille aimait son pays, son drapeau blanc et rouge, ce cèdre au milieu, elle aimait particulièrement l'hymne national, le picotement des yeux quand elle le chantait. Elle aimait aussi Fadi, surtout quand il chantait fort cet hymne en bradissant le drapeau libanais.

Puis il y eut cette nuit. Quand les bombes se firent plus fortes, quand les cris se faisaient plus proches, quand maman la prenait contre sa poitrine en la berçant et en pleurant doucement. Mais la petite fille ne comprenait pas. A chaque fois qu'elle essayait d'expliquer à sa mère qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur, que la cape était bien là, maman lui couvrait la bouche en posant des baisers salés sur son visage.

Le matin, juste au moment où les sourires osaient refaire surface, il y eut comme une sorte de vague dans l'immeuble de sa grand-mère. Il y eut d'abord comme un sifflement, puis une sorte de tremblement, des morceaux de la maison qui volaient partout et le silence. Un cri. Un seul. Un long. Etrange. Aigu. Atroce. Tout le monde s'empressa vers ce cri.

Il était une fois un petit garçon qui s'appelait Fadi. Fadi avait de longs cils et un short bleu marine aux boutons dorés. Fadi était maintenant mort. Et la petite fille savait. Parce que la maman de Fadi le tenait dans ses bras en hurlant et que Fadi ne bougeait pas. La petite fille devina à ce moment que le ciel lui avait pris un amour et que plus jamais elle ne ferait confiance aux étoiles.