Friday, January 29, 2010

All's fair in love and war

A table, il parle des chrétiens, des palestiniens, du Samedi Noir, de Bachir Gemayel, de Sabra et Chatila. Il parle, commence son petit jeu que je déteste: menton enfoui, yeux écarquillés, fourchette en l'air immobile, qu'il pose quand je l'interrompt, il baisse les yeux en parlant de nombre de morts, caresse la nappe en débitant les stratégies intercommunautaires et fait tourner son verre en citant des dates. Je connais parfaitement le moment quand il relèvera ses yeux, qu'il dessinera un sourire symétrique, qu'il se touchera le bout du nez tout en plissant les yeux et en murmurant "Ça va?" dans ma direction.

Normalement, j'aurai acquiescé. Pas ce soir. Je prends une cigarette, sors sur le balcon. Mes talons font trop de bruit. Ils laissent comme du verglas sur cette discussion. Pas très joyeuse à la base. Je vois Charlotte poser sa main sur son bras en lui intimant de lui expliquer de nouveau la "raison" de la guerre au Liban. Je n'ai pas de briquet. Je n'ai pas envie de rentrer pour en chercher. J'ai une cigarette qui pend tristement entre mes lèvres. Je pense à sa queue qui pend tristement entre ses jambes. Marc me rejoint sur le balcon, il tient 2 verres de vin, il me tend un sans rien dire, prend la cigarette que j'avais entre mes lèvres, la jette.

- Ça ne te flatte pas qu'il connaisse l'histoire de ton pays?

- Ça me flatte que Charlotte s'y intéresse.

Le silence se fait de nouveau quand je rentre. Il ne remarque pas ma présence, trop occupé à expliquer de la géopolitique à sa voisine. J'ai envie de raconter à Charlotte qu'il ne bande plus au bout de 4 verres, que ça ne sert à rien de le regarder droit dans les yeux, qu'il s'en fout de son décolleté, qu'il va bientôt jouir en s'écoutant parler. Mais dernièrement j'essaie de ne pas exaucer toutes mes envies. Je dis juste "Je vais partir. Super soirée." Il se tait, se lève, je l'entends faire la bise à tout le monde, s'affairer, je ne l'attends pas, je prends l'ascenseur. Une fois dans la rue, je vais à droite, la voiture est garée à gauche, j'éteins mon téléphone. Cette nuit, je la passerai avec des effluves de mon pays et le son de mes talons dans ma Paris soudain si froide.

2 comments:

M1 said...

Un très bon style d'écriture qui fait dégager l'ambiance de cette "rencontre" avec d'incroyables détails ! On imaginerait presque le décor, les personnages, la lumière, le son des talons (surement des Louboutin ou des Manolo Blahnik).

Pourquoi les gens croient intelligent de toujours parler aux libanais de Sabra et Chatila?


Joli détournement dans le titre du post, et bravo pour ce texte !

David said...

L'Histoire n'explique pas les guerres, elle raconte seulement le point de vue de ceux qui ne sont pas morts : les vainqueurs, les collabos et les veinards.
Aucun(e) historien(e) n'explique Hitler, aucun(e) même n'a l'audace de se poser la question, car chacun(e) a élevé ses propres enfants de la même manière que le petit Adolphe et ne peut pas voir sa propre violence transmise de génération en génération.
Sexe volé par les religions, vendu par les lois, payé par les enfants, éducation violente, récompense, punition, menace : nous fabriquons des nazis dès le berceau, à bien y regarder, et rien ou presque ne change dans la manière de traiter les enfants. L'Histoire peut continuer !